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6/ EL PAIS CULTURAL / N°599
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Leonardo Scampini
BIEN QUE, à la première audition, la musique
contemporaine uruguayenne peut donner l'impression d'un ensemble
indifférencié où tout sonne plus ou moins pareil, il
existe au moins deux postures formelles clairement marquées. L'une,
jouée à travers l'expérimentation radicale de nouvelles
possibilités expressives ; et l'autre qui, depuis cette recherche
conserve une certaine articulation harmonique et un développement
thématique issus de la musique "cultivée" traditionnelle.
Immergée dans cette dernière frange, Renée
Pietrafesa est, fondamentalement, une créatrice de climats, comme
cela se perçoit dans une grande partie des compositions intégrant
son disque
Mutabile.
LE DISQUE. La densité pénètre l'air.
Les effets percutants du piano préparé, en faisant un
contrepoint à la saisissante masse sonore orchestrale chargée
de voix qui se consolide, l'amène à son point culminant dans
cet effet de tourbillon et sa sensation de circularité. À cet
instant s'insinue un Leit-Motiv qui donne son unité à
l'uvre et s'en va évoluant en un vibrato envahissant.
L'atmosphère suggère différents états d'âme
au travers de trames sonores superposées ("Fantasia para piano preparado
y orquesta"). D'autres morceaux suggèrent des scènes luxuriantes
et indéfinies ("Integración 8"), mystico-religieuses ("Beauté
magique") ou d'une liberté vivifiante ("À 4"). |
"Sans avoir d'a priori - explique-t-elle - je me laisse
aller à ce que je vais ressentant. Parfois, je peux m'asseoir une
nuit au piano et d'une simple ébauche faire une pièce du
début à la fin ; en d'autres occasions, l'uvre ,
je la réalise par épisodes. Mais dans tous les cas, je me laisse
aller et tout de suite je prends conscience de mon travail en observant le
résultat".
"De plus - elle réfléchit - qu'est-ce que l'intellectuel, qu'est-ce que le sensible ? Pourquoi établir une frontière entre une chose et l'autre ? Quand je compose, je me sens très libre et à chaque instant je suis l'intégration de ces deux facultés qui peuvent lancer des produits plus mélodiques ou où l'exploration de l'inédit est plus accentuée". Dans le disque (récemment édité par label Tacuabé) cette appartenance aux deux zones se manifeste avec éclat. Ainsi, un motif de tango s'insinue ("Translaciones") et se développe dans une espèce d'éternelle introduction semblant ouvrir la voie à autre chose juste quand l'uvre se termine, ou un candombe porté à la limite de sa forme ("Impro 20 pour un piano") travaille dans les graves du piano, tandis qu'au premier plan quelques notes dans les aigus apportent des connotations plus reconnaissables par une oreille habituée à un son standardisé.
TOURNER EN ROND. Consciente des difficultés qu'a
rencontré sa musique - et en général toute la musique
culte contemporaine - pour arriver jusqu'aux gens, elle en impute en
partie la responsabilité à une trop faible diffusion "qui n'a
pas permis de la rendre familière", mais elle n'ignore pas la quote-part
incombant au créateur. |
Ajouté à cela, la recherche en parallèle de nos racines
qui se réalisait déjà, a compliqué encore plus
le panorama. Parce que c'est une chose d'expérimenter sur une base
sonore provenante du vieux continent (qui pour être plus reconnaissable
par le grand public, aurait facilité une plus grande
pénétration) et c'en est une autre, d'innover à partir
de ce qui est propre au lieu même.
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"Mais c'est ce que nous avions à faire - pointe Renée en insistant - parce que nous ressentions que ce qui venait de l'extérieur était meilleur, et nous l'imitions. Il y a heureusement eu une réaction et nous avons dit ça suffit, on va voir qui nous sommes, nous autres, qu'est-ce ce que nous avons ici". "Ce fut une très bonne attitude - conclut-elle - que celle qu'ont eue nos compositeurs". À l'aune de la compositrice uruguayenne, beaucoup de créateurs maintenant ont tendance à reprendre la musique de toujours et arriver à une synthèse avec toutes les réussites de l'étape expérimentale. "Nous allons vers un intégration de tout avec tout. Une intégration des spectacles, de tous les arts. Les frontières entre l'expérimental et l'acquis, entre le cultivé et le populaire tendent à se dissoudre, et pour tout le monde on observe de plus en plus de métissages qui conservent les caractéristiques de chaque expression et de chaque genre". À PLEIN POUMON. Selon Renée Pietrafesa la musique uruguayenne est d'une grande vigueur et de ce fait, quand elle réalise annuellement ses tournées en Europe pour donner des représentations et montrer son travail, elle en profite pour faire connaître ses collègues. "La composition en l'Uruguay est importante depuis (Héctor) Tosar jusqu'aux plus jeunes, et je m'applique à porter leut musique à l'étrangerr quand je voyage pour donner des concerts. De tous styles, de tous genres, de gens qui créent parce que c'est notre grand potentiel. Ici nous créons et nous créons vaille que vaille, quelle que soit la situation qui est, on ne nous arrête jamais". Et elle ajoute : "Ce n'est pas que nous soyons meilleurs que qui que ce soit, mais il y a des pays où la création n'est pas protégée, où il n'y a pas d'aides pour faire fonctionner la culture, comme ce qui se passe justement en Uruguay. Ici toutes les tâches sont plus compliquées. Ce n'est pas que le créateur ne peut pas réaliser son .uvre sans l'aide de toutes les institutions pertinentes, mais cel aide de savoir que tout de suite le produit artistique va être diffusé, qu'il va y avoir une quantité de opportunités de faire des concerts. Ici, tout se fait à plein poumon et, pour cela, revêt une teinte plus épique". |
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27 avril 2001 |